Le principe des récompenses admis, on insistait pour qu'on se bornât à les appliquer aux faits de guerre d'une appréciation beaucoup plus précise et ayant un objet clair et limité. Napoléon répondit à ces objections en s'adressant surtout au général Mathieu Dumas, qui avait très vivement soutenu l'opinion contraire.
Néanmoins, le projet ne fut adopté au Tribunat que par 56 voix contre 38, au Corps législatif, par 170 voix contre 110, et cependant, il avait été tenu grand compte dans sa rédaction des préjugés que l'institution de la Légion d'honneur pouvait inquiéter.
En dehors des militaires, les récompenses devaient s'adresser aux citoyens qui, par leur savoir, leurs talents et leurs vertus, avaient contribué à établir ou à défendre les principes de la Révolution. Le légionnaire devait jurer, non seulement de se dévouer au service de la République, mais de combattre par tous les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise tendant à rétablir le régime féodal, à reproduire les titres et qualités qui en étaient l'attribut, enfin, de concourir de tout son pouvoir au maintien de l'égalité et de la liberté.
La première distribution des croix eut lieu le 14 juillet. Le naturaliste Lacépède, qui, par un choix assez inattendu, fut le premier grand chancelier de la Légion d'honneur, eut soin de faire remarquer que cette date avait été choisie à dessein pour montrer que la Légion d'honneur était la consécration de la victoire du 14 juillet et de la Révolution de 1789. L'organisation de la Légion d'honneur était bien plus complète qu'aujourd'hui. Par exemple, elle était divisée en quinze cohortes ayant chacune son chef particulier, et à chacune desquelles étaient affectées des portions de biens nationaux portant 200.000 livres de rente. Le plus haut grade était alors celui de grand officier. La dignité de grand aigle ou grand cordon ne fut établie qu'en 1805.
Napoléon, en établissant la Légion d'honneur, en dépit de l'opposition qu'il rencontrait autour de lui, était d'accord avec la nation. La Légion d'honneur a toujours été considérée comme une institution démocratique, ce qui ne l'a pas empêchée d'être une décoration enviée entre toutes.
Néanmoins, de sa création en 1802 jusqu'à la première abdication de 1814, ce sont les militaires qui se la verront épingler sur leur uniforme à une majorité écrasante : sur 48 000 légionnaires, on ne comptera qu'à peine 1500 civils. L'esprit qui présida à sa création ne fut donc pas respecté, loin s'en faut. A ce jour, les militaires ne représentent plus (!) que 65 % des récipiendaires contre 35 % aux civils. Au 1er janvier 1999, on comptait 113 800 légionnaires. En ces temps où la parité est sur de nombreuses lèvres, la femme n'y compte que pour 10 % environ seulement. Notons toutefois que depuis quelques années, les nouvelles promotions visent à réduire ce fort déséquilibre.